Démocratie participative : vive le conflit !

Recherche
Mardi 06 juin 2017

Forte de ses 500 habitants, l'Alliance citoyenne de l'agglomération de Grenoble pèse sur les décisions publiques.




Guillaume Gourgues est maître de conférences en science politique à l’université de Bourgogne Franche-Comté. Son travail de recherche porte principalement sur la participation des citoyens aux processus de décision publique. Pour lui, il est temps que les municipalités utilisent enfin ce levier pour aborder des enjeux qui intéressent vraiment les habitants.

Guillaume Gourgues
Guillaume Gourgues

- «  C’est quoi la démocratie participative ?

C’est un ensemble de dispositifs mis en place à partir de la fin des années 90 par les autorités publiques : les conseils de quartier, les conseils de développement, les conseils de jeunes… Ces dispositifs ont été inspirés par les luttes urbaines qui ont émaillé les années 70 et 80 durant lesquelles les habitants se sont réunis au sein d’ateliers populaires d’urbanisme pour défendre leur cadre de vie. Les municipalités y ont vu de nouveaux moyens de gérer la politique urbaine. Je préfère d’ailleurs le terme de participation publique pour désigner ce processus. Ça désigne bien un mode de gestion, alors que le terme de démocratie participative reste un idéal et une revendication. 

- A quoi sert cette participation publique ?

C’est vraiment la question qu’il est temps de se poser ! Aujourd’hui, l’offre en matière de participation des habitants apparaît souvent comme un artifice politique et un gadget au regard de l’intérêt suscité chez les habitants. De plus, la plupart des conseils en tous genres qui ont été créés tournent en rond, ou à vide. Ils rassemblent souvent les mêmes noyaux d’habitués qui aiment la chose publique, et la question de leur impact sur la décision est généralement soigneusement évitée. 

- Pourquoi cela ne fonctionne pas ?

Je pense que la majorité des élus utilisent la démocratie participative comme une pensée magique, pour restaurer la confiance, mais qu’ils ne prennent aucun risque en n’abordant pas les sujets qui intéresseraient vraiment les habitants, ou qui seraient susceptibles de créer du conflit. En ce moment, c’est la mode des budgets participatifs : les municipalités annoncent un budget et invitent les citoyens à proposer des projets qui seront financés s’ils recueillent l’adhésion des autres habitants. Ce sont des sortes de grandes kermesses d’appels à projets qui servent de boîtes à idées aux élus et qui évitent soigneusement d’aborder les enjeux de justice sociale.

Au Brésil, historiquement, les budgets participatifs, en tant que procédures d’arbitrage, ont pu servir à expliquer aux plus riches pourquoi ils payent des impôts et pourquoi l’argent qu’ils donnent va aller en priorité à l’amélioration de la vie des habitants des quartiers pauvres. En France, on pourrait aussi s’en servir, en cas de baisse du budget municipal, pour permettre aux habitants d’arbitrer sur les choix à faire : quelle enveloppe baisser, quel domaine préserver des coupes budgétaires…


A Aubervilliers, les habitants ont renégocié le prix de l'eau.

- A quoi devrait ressembler la démocratie participative en France ?

Sur la forme, les fondamentaux – le porte à porte, le travail de fond, la réunion publique – sont encore les méthodes les plus efficaces : souvent, il n’y a pas vraiment besoin de chercher beaucoup plus loin. Ce n’est pas avec les réseaux sociaux ou des tablettes tactiles ou des applications qu’on va attirer de manière automatique les jeunes, les pauvres et un nouveau public dans les réunions. J’appelle ça du fétichisme procédural !

Sur le fond, plutôt que de parler de jardins partagés, la démocratie participative devrait aborder des questions qui vont susciter du débat, du conflit, des tensions… Les habitants viendraient nombreux ! En Toscane, à Florence, le premier débat réclamé par les citoyens dans le cadre d’une loi de promotion de la participation promulguée en 2007 portait sur l’installation d’une mosquée. Vous imaginez l’ambiance… Souvent les élus ont peur du conflit, de voir la réunion prise en otage par un groupe d’extrême-droite, une association virulente… Déjà, ce ne sera pas le cas si les réunions sont préparées par un travail de terrain car d’autres habitants vont s’exprimer. Et puis le conflit, c’est la démocratie. L’accepter permettrait, à long-terme, de réduire le champ de manœuvre des preneurs d’otage habituels. Aujourd’hui, à force de pacifier et de lisser la démocratie participative, d’organiser le changement pour que surtout rien ne change, on ne laisse aucune autre issue que les urnes aux idées rétrogrades et xénophobes.

- Y-a-t-il des innovations qui vous semblent intéressantes en France en matière de démocratie participative ?

De nombreuses tentatives sont actuellement menées pour régénérer les formes de participation citoyenne. Deux mouvements principaux sont apparus. Le premier consiste à agir uniquement si une initiative émerge spontanément dans la population, comme une pétition par exemple. La municipalité de Grenoble a mis pas mal de choses en place – des bonnes et de moins bonnes – en ce sens. Par exemple, lorsqu’une pétition recueille au moins 2 000 signatures, son objet est examiné en conseil municipal qui peut décider de voter en faveur de la mesure proposée ou d’organiser une votation citoyenne.

Le second mouvement, particulièrement intéressant, consiste à donner aux habitants les connaissances nécessaires pour tenir un rapport de force avec les décideurs locaux. Venu des Etats-Unis, le « community organizing » est mené en totale indépendance avec les partis politiques et les institutions publiques ou privées. Il s’agit en effet d’apprendre aux habitants des quartiers défavorisés à défendre leurs droits, à s’organiser pour être entendus et participer aux conseils de quartier d’une façon efficace et éclairée. Cela existe en France, à Aubervilliers et à Grenoble, sous le nom d’Alliance citoyenne. Avec le collectif « Et si on s’alliait ? », Rennes connait aussi une expérience intéressante d’habitants décidés à s’unir pour peser sur les décisions qui les concernent. »

Un reportage sur le Community Organizing (Public Sénat) :

L'autrice

Journaliste spécialisée dans les questions urbaines et les enjeux d'aménagement des villes de demain, Vanessa Delevoye est la rédactrice-en-chef d'Urbis le Mag.