« Ce n'est plus le commerce qui rend un centre-ville attractif »
Il y a deux ans, Urbis le Mag interviewait David Lestoux, consultant spécialisé dans l’attractivité commerciale, sur le thème « Comment réenchanter les centres-villes ? ». A l’époque, la dévitalisation des villes moyennes émergeait à peine dans le débat public. Depuis, les choses ont bien changé : le sujet a littéralement explosé dans les médias et la sphère politique s’en est saisi. Le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, vient d’annoncer le lancement de « Action coeur de ville », un plan de 5 milliards d’euros destiné à 22 villes moyennes. Sans doute s’inspirera-t-il largement des préconisations du rapport Marcon, commandé par le ministre à un comité d’experts. Quelles sont les grandes lignes de ce rapport ? David Lestoux, son rédacteur, nous le dévoile.
- « Un gouvernement s’intéresse enfin aux villes moyennes : on a envie de dire : « Il était temps » ! La dernière fois, c’était en 1975 ; Valéry Giscard d’Estaing était président. Est-il déjà trop tard ?
- Oui, il était temps. Ces dernières années, les débats ont principalement porté sur les métropoles. Mais le territoire français n’est évidemment pas fait que de métropoles. Il est aussi constitué d’un maillage de villes moyennes plutôt plus important qu’ailleurs en Europe. Et non, il n’est absolument pas trop tard pour s’intéresser à la question.
Les Français attachent de l’importance à leurs villes. Ils font même preuve d’un nouvel appétit pour les centres-villes, que ce soit à l’âge de la retraite, pour tout avoir à portée de main, ou, plus jeunes, pour vivre sans voiture. Actuellement, la souffrance des centres-villes s’exprime par une vacance commerciale élevée. En huit ans, le taux de cellules commerciales vides est passé de 6% à 13% en moyenne. Si on raisonne de façon simpliste, on se dit : c’est donc un problème de commerces.
En fait, c’est un problème de centres-villes. Ces derniers ont perdu à la fois leurs habitants – le taux de vacance des logements est encore plus significatif que celui des commerces – et tout ce qui générait des flux de personnes : les emplois ont atterri en périphérie dans des zones d’activité, tout comme une quantité de services publics, les hôpitaux par exemple. En résumé, il n’y a plus assez de monde qui vit et qui passe dans les centres-villes pour faire vivre les commerces.
- Quelle est l’essence du rapport Marcon qui a été remis mi-mars au ministre de la Cohésion des territoires ?
- Ce rapport est constitué d’un ensemble de propositions dans les domaines-clefs qui contribuent au bon fonctionnement du commerce dans les centres-villes : le logement, les équipements publics, l’emploi… Sans oublier l’identité : l’attractivité d’un centre-ville réside dans sa capacité à se démarquer en termes d’ambiance urbaine, à créer de la convivialité, à proposer de nouveaux services. En effet, ce n’est plus le commerce qui rend le centre-ville attractif. L’offre commerciale est pléthorique ; elle ne constitue plus un appel suffisamment puissant.
Dans le premier chapitre du rapport, nous abordons la question de la gouvernance en insistant sur le fait que la revitalisation d’un centre-ville est l’affaire d’une agglomération tout entière : le centre-ville doit être considéré comme le centre vital de l’agglomération ; de cela les élus de l’intercommunalité doivent être intimement convaincus.
En termes de méthode aussi, nous expliquons qu’il ne faut plus travailler en silos, c’est-à-dire en empilant des stratégies – une pour le commerce, une pour le logement, une autre pour les équipements… – sans les lier les unes aux autres. Les centres-villes qui réussissent sont ceux où toutes les stratégies sont coordonnées entre elles vers un même objectif.
- La prolifération des centres commerciaux en périphérie est pointée du doigt par de nombreuses personnes comme un facteur aggravant de la crise actuelle…
- Il est en effet plus facile d’investir en périphérie, les contraintes architecturales sont moins fortes, le foncier moins cher car il n’y a pas besoin de démolir pour reconstruire et les taxes d’aménagement sont plus basses. Or, pour se développer, les centresvilles ont besoin d’investisseurs. Nous proposons donc de supprimer quelques-uns des freins à cet investissement, comme les autorisations de la CDAC pour les grandes surfaces en cœur de ville. Nous prônons aussi des mesures en matière de fiscalité (NDLR : la suppression partielle de la Tascom, la taxe sur les surfaces commerciales).
- Pourquoi avoir rejeté l’idée d’un moratoire sur la construction de nouveaux centres commerciaux en périphérie des villes ?
- D’une part, ce moratoire serait contraire aux règles européennes de la libre concurrence. D’autre part, chaque centre-ville a une problématique territoriale différente. Un tel moratoire n’aurait pas de sens sur un territoire où la croissance démographique est forte. Quant aux territoires qui veulent se prémunir de nouvelles surfaces commerciales, leurs élus ont déjà la possibilité de le faire, via les schémas de cohérence territoriale (SCOT) qui peuvent déclarer inconstructibles les zones à protéger.
Et puis ce moratoire n'aurait rien résolu sur le long terme. Selon moi, il s’agit d’une façon datée, à l’ancienne, de faire de l’aménagement. D’ailleurs, la véritable segmentation en matière commerciale ne se situe pas entre les centres-villes et la périphérie, elle réside davantage entre le commerce physique et le commerce digital. Et pour résister face au commerce digital, le commerce physique doit faire preuve d’attractivité.
- Que peuvent faire les commerçants pour rendre leurs commerces plus attractifs ?
- Il est grand temps d’adapter les horaires des commerces du centre-ville aux nouveaux temps sociaux. Les commerces ne sont ouverts que 22% du temps dont disposent les actifs pour consommer. Cela questionne quand même… Pourquoi ouvrir entre 10h et 12h s’il n’y a personne ? Mieux vaut ouvrir le midi, plus tard le soir, le dimanche jusque 13h…
La livraison à domicile est aussi une piste à explorer : si tous les commerçants d’un centre-ville se regroupaient pour proposer ce service, cela fonctionnerait. Concernant les concepts et les aménagements intérieurs de leurs boutiques, les commerçants indépendants qui ont envie d’innover n’ont pas forcément d’idée ou d’argent pour agir. C’est pourquoi le rapport Marcon préconise la création d’une structure de soutien à l’innovation.
- A quoi ressemblent les nouveaux commerces qui fonctionnent ?
- Ce sont des commerces hybrides et qui proposent une ambiance atypique. Par exemple, un commerce de prêt-à-porter sans rayonnages où les vêtements sont présentés comme dans un appartement où on peut aussi acheter les meubles et les objets de déco présentés. Les points de vente qui fonctionnent bien sont très scénarisés. Le commerce hybride – où on va acheter ce dont on a besoin et où on craque de façon imprévue pour un bijou, un bouquet de fleurs ou une pâtisserie – est pile dans la tendance.
Les générations Y (nées entre 1980 et 1995) et Z (nées après 1995) sont à la recherche d’univers et d’atmosphères ; le commerce cloisonné ne leur parle pas. La vitrine numérique, permettant d’avoir accès à une gamme de produits bien plus large que celle en boutique, fonctionne bien aussi. Le client bénéficie de conseils du vendeur lors de sa commande. »
Plan « Action cœur de ville » : 222 villes moyennes retenues
Lancé le 27 mars dernier, le plan « Action cœur de ville » doit permettre de mobiliser, en faveur de la revitalisation des cœurs de villes moyennes, plus de cinq milliards d'euros sur les cinq années à venir, avec les apports financiers de la Caisse des Dépôts, d’Action logement et de l’Agence nationale de l’habitat (Anah).
23% de la population est concernée
Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, avait demandé aux préfets de région de présélectionner les villes à soutenir dans ce cadre, en les interrogeant sur leur intérêt pour ce dispositif : 222 villes ont été retenues, qui accueillent 23% de la population pour 26% des emplois français.
« C’est un plan qui s’adresse de manière pragmatique aux territoires comme ils sont, là où ils en sont de leur programme de revitalisation », précise Michel-François Delannoy, directeur du programme "Cœur de ville" à la Caisse des Dépôts. L'enveloppe allouée à chaque ville dépendra donc de la nature des projets, sans répartition prédéfinie, pour s’adapter au niveau de maturité de chaque territoire.
Susciter l'innovation
Certaines villes, comme Châtellerault, vont pouvoir valoriser un projet déjà avancé et contractualiser avec les financeurs dès les premiers mois. « Pour d’autres villes dont le diagnostic est encore en cours d’élaboration, nous allons mobiliser des moyens d’ingénierie pour les accompagner », commente Michel-François Delannoy.
La Caisse des Dépôts pourra également mobiliser des crédits spécifiques pour susciter des innovations, par exemple en matière de performance énergétique, de mobilité ou encore de services à la personne.
Cet encadré a été rédigé sur la base d’un article publié sur le site « Au service des territoires » du groupe Caisse des Dépôts.
L'intégralité des préconisations de la mission prospective sur la revitalisation commerciale des villes petites et moyennes (rapport Marcon) est téléchargeable ici.