A quoi sert la prospective ?

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Lundi 17 octobre 2016




Nicolas Rio est docteur en sciences politiques. Urbis le mag s’est intéressé à ses travaux sur la prospective : un exercice auquel les collectivités locales se livrent régulièrement dans l’optique déclarée de définir une nouvelle stratégie pour le développement de leur territoire. Et si la prospective servait en réalité à tout autre chose ? C’est la théorie de notre chercheur.

A quoi ressemblera la France en 2050 ?, Inventons Avignon 2030, Go Boston 2030 ! etc. Un rapide coup d’œil sur le net démontre que l’usage de la prospective s’est largement répandu depuis son apparition dans les années 60.

Nicolas Rio a consacré sa thèse à l’analyse de cette pratique qui, paradoxalement, vante la nouveauté tout en nécessitant d’être régulièrement renouvelée – par exemple à l’occasion de la rédaction d’un nouveau schéma de cohérence territoriale (SCoT), d’un énième plan local d’urbanisme (PLU) ou d’un exercice de démocratie participative…

Le chercheur s’est focalisé sur une question : pourquoi faire de la prospective et, surtout, à quoi cela sert-il réellement ?

La plupart des démarches prospectives restent sans suite

Pour le savoir, il a étudié de nombreuses pratiques menées ces cinquante dernières années. Il a aussi suivi en direct différentes démarches portées par des collectivités locales comme Pays de la Loire 2040 (conseil régional) ou Nantes ma ville demain en 2030 (métropole).

« J’ai regardé la prospective sous un angle concret : qu’est-ce qui est mis en place ; qui est mobilisé ; quels sont les thèmes abordés », indique Nicolas Rio.

Premier enseignement – et premier sujet d’étonnement –, le décalage entre la définition courante de la prospective et la réalité. En théorie, la prospective consiste à anticiper pour contribuer au futur plutôt que de le subir. Il s’agit donc de définir une stratégie à long terme pour sortir de la dictature de l’urgence.

« Dans la réalité, j’ai constaté que la prospective sert à beaucoup de choses mais certainement pas à gouverner le long terme ! La plupart des démarches prospectives sont éphémères et resteront sans suites », dévoile le chercheur.

Un détour par le futur pour parler du présent

Extrêmement liées au politique, les démarches prospectives menées par les collectivités locales dépendent beaucoup du poids et de la pérennité de l’élu qui les lance, de sa réélection, des alliances politiques qui se nouent et se dénouent… La question de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes était ainsi complétement absente de « Nantes ma ville demain ».

Dans ce contexte, pourquoi la prospective rencontre-t-elle un tel succès ? Pourquoi, tous les cinq ans ou presque, de nouvelles démarches prospectives sont-elles lancées par les territoires ?

Selon Nicolas Rio, la prospective a l’avantage d’ouvrir le champ des possibles et de montrer que le futur n’est qu’incertitude. La prospective permet en fait de parler du présent, par le biais d’un astucieux détour par le futur.

On fait de la prospective quand on ne peut pas faire autre chose

« Regardez à qui est confié l’exercice de la prospective. Il s’agit souvent d’un pouvoir faible, que l’on va chercher à légitimer en lui faisant tenir un nouveau discours. On fait de la prospective quand on ne peut pas faire autre chose », affirme le chercheur. « C’est de cette manière que les collectivités les plus récemment créées, les métropoles et les conseils régionaux, se sont faits une place dans le paysage institutionnel face au poids historique des départements et des communes. »

Grâce à sa transversalité des sujets, le discours prospectif permettrait donc aux jeunes institutions de justifier leur existence, de démontrer la cohérence de leur échelle territoriale et de prendre la main sur leur propre avenir. Parler du futur serait d’abord une ressource au service d’un pouvoir émergent !

Quelles tendances d’avenir en matière de prospective ?

La prospective contribuerait également à l’innovation dans les politiques publiques. « Considérée avec suspicion par les grandes directions sectorielles des collectivités, la prospective amène du doute dans un monde d’expertise et remet en cause les feuilles de route bien établies. La prospective permet d’innover en mobilisant autrement des sources d’expertises. Tout comme elle a permis l’émergence et le développement des démarches de participation des habitants… »

Vers quoi la prospective évolue-t-elle ? Nicolas Rio entrevoit plusieurs tendances lourdes. L'une de ces tendances consiste à aller voir les « vrais gens » (si tant est que cela existe...). Il existe un marché porteur de techniques développées dans le but de faire parler les habitants de leur futur idéal par exemple. Faire appel à des créatifs (des auteurs de BD, des écrivains, des entrepreneurs du numérique) pour crédibiliser la démarche en est une autre. Le chercheur évoque aussi l'intéressant rapprochement avec le design public, comme une tentative de faire sortir la prospective du registre du discours pour aller vers des actions plus opérationnelles, telle la démarche "Les éclaireurs" lancée par la 27e région.

 

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un séminaire de recherche « Innovation politique et prospective urbaine » du PUCA qui s'est déroulé à l’agence d’urbanisme de Dunkerque les 26 et 27 septembre 2016.

L'autrice

Journaliste spécialisée dans les questions urbaines et les enjeux d'aménagement des villes de demain, Vanessa Delevoye est la rédactrice-en-chef d'Urbis le Mag.

Mots clés : Nicolas Rio  thèse  prospective  stratégie  territoires