Portrait de territoire : Dunkerque 4/9

Identité
Lundi 20 avril 2015




Aussi loin qu’on s’en souvienne, ce territoire a été inlassablement mis en forme par l’homme. De façon subie comme volontaire. Initialement, le paysage a été profondément transformé pour des raisons de survie.

Façonné par l'homme

Pour les cultiver, il a fallu assécher les terres et les protéger de l’eau. Les hommes ont alors conçu l’astucieux et performant système des watergangs, ces fossés classés qui permettent de maintenir au sec le delta de l’Aa entre Calais, Saint-Omer et Dunkerque. Grâce à des stations de pompage, modernisées au fil des ans, l’eau excédentaire est en permanence rejetée à la mer. L’efficacité des wateringues est telle que de nombreux habitants ignorent l'existence du risque d’inondation !

Le transport des marchandises et des hommes a aussi modifié le paysage : voies ferrées, infrastructures routières en nombre… Sans oublier les aménagements du Port autonome qui, s’il a migré vers l’Ouest, continue à détenir des réserves foncières importantes et à décider de leur usage… L’arrivée de l’industrie dès les années cinquante a constitué un bouleversement majeur.

Des aménagements colossaux ont été réalisés, allant même jusqu’à priver certaines communes de leur accès à la mer. L’industrie génère aujourd’hui des paysages insolites : la digue du Braek, au décor digne de science-fiction ou encore la chaussée des Darses, où le contact visuel avec les entreprises est pour le moins brutal : fumées, torchères et odeurs sont au rendez-vous. La nature vierge est quasiment inexistante. Même dans l’espace dunaire, la guerre a laissé des traces.

Aujourd’hui, c’est l’homme qui recrée de nouveaux espaces dits « naturels », comme le croissant vert (où se trouve par exemple le bois des Forts, le golf) et le poumon vert à l’Ouest. 

Reconstruction : une greffe rejetée ?

Les Îlots rouge, l'un des fleurons de la Reconstruction dunkerquoise.
Les Îlots rouge, l'un des fleurons de la Reconstruction dunkerquoise.

Le rapport à l’environnement est ambivalent. Il est souvent vécu comme un outil plus que comme un espace paysager. Pourtant la pollution demeure un sujet sensible, une réalité qui reste difficile à vivre et à accepter. Les guerres et les opérations militaires successives ont profondément imprimé leur marque au territoire, laissant derrière elles des villes fortifiées, des remparts, de nombreux blockhaus mais aussi des villes meurtries.

Le centre-ville de Dunkerque a pour ainsi dire été rayé de la carte lors de la Seconde Guerre mondiale. Lorsqu’il a fallu reconstruire, l’architecture d’une extrême modernité imposée par l’État ne présentait pas de lien avec ce qui existait auparavant. Les habitants ne l’ont jamais vraiment acceptée. Ils conservent encore aujourd’hui une nostalgie de l’ancien Dunkerque et l’on ne peut que faire le constat d’une greffe rejetée.

Pourtant, au Havre, un classement au patrimoine mondial de l’humanité et une réhabilitation des logements créés par Auguste Perret a fini par faire aimer aux habitants leurs immeubles de béton surmontés de toits-terrasses.

Jean Bart, héros incontesté


La destruction du bureau central de la main d’œuvre (BCMO) du port de Dunkerque.

Ici, le traumatisme de la destruction totale et les démolitions successives semblent à l’origine d’un état d’esprit très particulier, tout du moins sur le littoral. Il y a en effet encore peu de protection des « vieilles pierres ». On a longtemps observé une tendance forte à détruire pour reconstruire, sans état d’âme.

Faute de pierres à aimer et dont ils pourraient être fiers, les Dunkerquois opéreraient un transfert affectif sur Jean Bart, le héros local incontesté. Le phénomène ne peut passer inaperçu : une multitude de salles, de bâtiments, d’événements, de clubs faisant référence au corsaire voient le jour. Cela induit un manque d’originalité certain et un côté un peu lassant parfois. « Pourquoi donner aux visiteurs l’impression qu’il n’y a rien d’autre à Dunkerque ? », se plaignent certains habitants agacés.

Dans la partie rurale du territoire, la situation est toute différente : on montre beaucoup plus de goût pour le patrimoine. Chaque chapelle se voit restaurée, les maisons arborent des volets aux couleurs traditionnelles…

Quelle est la véritable personnalité de la région Flandre-Dunkerque ?

Pour le savoir, l’agence d’urbanisme de Dunkerque (AGUR) a mené une grande étude en 2006. Tous les documents, articles et livres mentionnant le territoire ont été compulsés. Un groupe ressource d’experts locaux a été créé. Des enquêtes ont été menées auprès d’habitants et de visiteurs (plus de 300 au total). Au final, un rapport de 400 pages croisant tous ces regards a été rédigé. Dix traits de caractère, tant physiques que psychologiques, ont finalement émergé, comme pour une personne de chair et de sang.

Presque 10 ans après, force est de constater que ce portrait de territoire n’a pas été utilisé par les différents acteurs du Dunkerquois (élus, professionnels du tourisme ou de l’économie de l’époque).

Mais il n’est pas trop tard ! L’expérience actuellement menée dans les villes autour du Louvre-Lens le démontre : un portrait de territoire est un outil précieux d’aide à la décision. Il contribue à donner du sens à des produits économiques, touristiques ou culturels ; à construire des événements en adéquation avec les spécificités physiques et culturelles du territoire ; à déterminer des stratégies de développement...

Berges, espaces fonctionnels

A Dunkerque, on ne perçoit nullement l’identité d’une ville sur l’eau. L’incomparable patrimoine paysager lié à l’eau n’est pas exploité. Le long des canaux, les jardins ont été fermés par de hautes barrières par les habitants qui se privent ainsi, volontairement, de la vue sur l’eau. Les espaces publics que constituent les berges ne sont pas aménagés en promenade et sont vécus comme des espaces fonctionnels. Quant à l’eau, elle semble comme laissée au fond d’un trou, il faut se pencher pour la voir. Mais veut-on vraiment la voir ? La plupart des gens la considèrent en effet comme « puante et sale » même si dans les faits, sa qualité a bien progressé.

L'autrice

Journaliste spécialisée dans les questions urbaines et les enjeux d'aménagement des villes de demain, Vanessa Delevoye est la rédactrice-en-chef d'Urbis le Mag.