Shawinigan donne le goût d'entreprendre à ses habitants

Emploi
Jeudi 14 décembre 2017

A Shawinigan, un jeune entrepreneur de 10 ans présente son projet de chasse-moustique écologique.




En moins de 10 ans, la petite ville québecoise de Shawinigan a réussi un tour de force : réveiller le goût d’entreprendre chez ses 50 000 habitants. Un cas d’école copié en Amérique du Nord et jusqu’en France. Urbis le Mag a rencontré le maire de Shawinigan, Michel Angers, lors de sa venue à Dunkerque, un territoire qui s’est fortement inspiré de l'exemple québecois pour lancer, début décembre, sa propre communauté entrepreneuriale.

Michel Angers, maire de Shawinigan depuis 2009.
Michel Angers, maire de Shawinigan depuis 2009.

« Tout a commencé en 2008 », se souvient Michel Angers. « Avec la fermeture d’une papeterie, l’une de nos dernières usines. Nous avons perdu cette fois-là 600 emplois directs et 1 800 emplois indirects. Ça a été un électrochoc pour toute la communauté shawiganaise ».

Durant des décennies, la petite ville de Shawinigan au Québec a vécu de façon prospère grâce à son tissu d’une vingtaine d’usines industrialo-chimiques, qui avaient choisi de s’implanter là dans les années 50, à la faveur d’un important barrage hydro-électrique.

Le maire raconte : « Nous pensions que cela ne cesserait jamais. Et puis… la nationalisation de l’électricité, en 1963, a totalement changé la donne. Une usine a fermé, puis une autre, puis une autre… Des dizaines de milliers d’emplois ont lentement disparu. Personne n’a alors voulu voir, ni prévoir l'après… et en 2008, nous avons touché le fond. Il ne restait plus rien. »

Virage serré vers l'entrepreneuriat et les PME

Face à ce marasme, Michel Angers, qui vient d’être élu, change de doctrine. Fini les grosses usines, certes providentielles, mais qui délocalisent sans crier gare : le nouveau maire de Shawinigan engage un virage serré vers l’entrepreneuriat et les petites et moyennes entreprises. En 2009, la communauté entrepreneuriale de Shawinigan voit le jour.

« Nous avons rassemblé tous les acteurs de l’économie, de la culture, du secteur social et de l’éducation autour d’un même objectif : donner aux habitants le goût et l’envie d’entreprendre. Nous savions que c’était la seule manière d’avoir à Shawinigan des entreprises fermement arrimées à notre territoire », résume le maire.

Donner le goût d’entreprendre n’a pas été une mince affaire dans une ville où l’on travaillait à l’usine de père en fils depuis des générations : « Les gens avaient l’habitude de laisser leur créativité à l’entrée de l’usine et de la retrouver en sortant pour faire du bénévolat ou du bricolage par exemple ».

Dès la crèche


Journée des petits entrepreneurs.

Pour développer « l’intention d’entreprendre » parmi la population, une centaine d’actions a été mise en œuvre, tout azimut.

Le réseau scolaire a été mobilisé en premier. « Pour démarrer une entreprise, il faut avoir eu, dès l’enfance, l’envie et l’habitude de prendre des initiatives », indique Michel Angers.

« Nous avons développé des actions dès la crèche avec des jeux de marionnettes, dans les classes avec des incitations à créer des mini-entreprises… Actuellement 46% des élèves montent un projet entrepreneurial. Nous avons voulu valoriser tout cela aux yeux des parents en organisant des présentations publiques, des remises de prix… Les élèves de primaire passent tous des tests pour savoir quel est leur profil entrepreneurial. Nous les encourageons ensuite à monter ensemble des projets alliant différents profils pour leur apprendre que la diversité des compétences est une force. »

Les journaux locaux ont joué le jeu

La communication joue aussi un rôle majeur. « Nous avons braqué les projecteurs sur les PME et plus sur les grandes entreprises », explique François St-Onge, à la fois directeur de la Communication de la ville et président de la communauté entrepreneuriale. Côté information, les journaux locaux ont joué le jeu : ils ont relayé les actions de façon positive et mis en avant les créateurs d’entreprise en leur donnant davantage la parole.

Un réseau d’intrapreneurs a vu le jour :  « Il s'agit des gens qui influencent la création d’entreprises de par leur travail dans une école, une association, une collectivité locale etc. Le partage de la connaissance des actions mises en place est en effet crucial pour réussir. Si personne ne sait qu’il existe des "Start-ups week-ends", des déjeuners "résolution des problèmes", des dispositifs permettant de répondre en groupement de PME à de gros marchés publics, cela ne sert à rien ! »

14 000 m² dédié aux entrepreneurs

Accueil de nouveaux entrepreneurs.
Accueil de nouveaux entrepreneurs.

« Et puis nous avons cherché à retenir nos jeunes qui avaient envie d’entreprendre, car il y en avait quand même un peu à Shawinigan ! Jusque-là, ils partaient le faire ailleurs », reprend Michel Angers.

Pour ce faire, une cotonnerie désaffectée de 14 000 m², transformée en centre d’entrepreneuriat, accueille des formations comme celle au démarrage d’entreprise (350h), divers services d’accompagnement et de financement ainsi qu'un incubateur hébergeant les jeunes pousses durant 5 ans. A l'étage, on trouve le DigiHub, entièrement dédié à l’univers du numérique avec des "fab lab", un pôle industrie 4.0

« Dans le numérique, l’innovation vient des PME, pas des grosses entreprises et nous misons là-dessus », ajoute Michel Angers. Le numérique vient d’ailleurs de faire son entrée dans les écoles de Shawinigan avec des cours de codage informatique.

Des résultats rapides

Cet ensemble de mesures volontaristes a engendré un basculement culturel rapide. En 2010, un sondage parmi les habitants de Shawinigan évaluait à 52 % la part de la population adhérant à la nouvelle politique pro-entreprises menée par la municipalité. En 2013, ce taux dépassait les 97 %.

Shawinigan s’est aussi dotée d’un outil de mesure baptisé « indice entrepreneurial » qui permet de quantifier les effets de sa politique (voir Avant-Après ci-dessus).

« Nous sommes donc arrivés à multiplier par deux l’intention d’entreprendre, le nombre d’entreprises créées et le taux de survie des entreprises au bout de cinq ans », se félicite Michel Angers.

Shawinigan compte actuellement 1 600 entreprises employant 22 000 personnes, dont 3 000 dans les hautes technologies. Vous l'aurez compris, la petite ville québecoise ne compte pas s'arrêter là.

Pourquoi Dunkerque suit-elle l'exemple de Shawinigan ?

Avec ses usines (14 sites Seveso) pourvoyeuses d’emplois mais potentiellement délocalisables et son taux de chômage élevé, le Dunkerquois ne pouvait pas ne pas regarder ce qui se passe du côté de Shawinigan.

Le territoire nordiste est aussi l’un de ceux où la création d’entreprises est le plus bas : 38 créations pour 10 000 habitants (contre 83 en moyenne en France). Début décembre, la Communauté urbaine de Dunkerque lançait officiellement sa communauté entrepreneuriale dans le but de susciter localement le désir d’entreprendre.

Il y a fort à faire : sur ce territoire industriel, 34 % des habitants estiment que la fonction publique est le choix de carrière le plus intéressant à faire (14 points de plus que la moyenne nationale) tandis que seulement 32% jugent la carrière d’entrepreneur plus intéressante que les autres (12 points de moins que la moyenne nationale).

L'autrice

Journaliste spécialisée dans les questions urbaines et les enjeux d'aménagement des villes de demain, Vanessa Delevoye est la rédactrice-en-chef d'Urbis le Mag.