Talinn fait le bilan de 4 ans de transports gratuits 2/2

Le labo du bus gratuit
Jeudi 15 décembre 2016




Pour ce deuxième volet consacré à la gratuité des transports en commun à Talinn, nous nous sommes intéressés aux résultats concrets de la mesure en termes d’insécurité, de pouvoir d’achat ou de trafic routier. La gratuité a-t-elle incité les habitants à délaisser leur voiture au profit du bus et du tramway ? Qui sont les nouveaux usagers des transports gratuits ?

Parmi les usagers rencontrés dans les bus et les tramways de Talinn, il y a ceux qui payent – ils ne résident pas dans la ville – et font part de leur sentiment d’injustice, voire de leur désapprobation. Et il y a ceux qui ne payent pas et livrent un tout autre avis sur la question…

+ 10 à 14 % de fréquentation


Certains nous disent avoir découvert les transports en commun depuis la gratuité et avoir remisé leur voiture au garage. Impossible cependant d’obtenir un chiffre précis sur le nombre exact de ces nouveaux usagers.

Comme nous l’explique Allan Allaküla, fonctionnaire à la mairie, « les résidents de Talinn, qui bénéficient d'une "green card" de gratuité n'utilisent malheureusement pas les lecteurs de cartes situés près des portes. Seuls les non-résidents, c’est-à-dire ceux qui payent, le font. Cela nous empêche de disposer de chiffres fiables sur l’augmentation de la fréquentation. »

C'est donc une estimation que la municipalité livre en évoquant une augmentation de la fréquentation de l’ordre de 10% à 14% en quatre ans. Un taux suffisamment raisonnable pour être crédible. En effet, avant la gratuité, Talinn avait déjà mis en place un système de tarification sociale poussé : 36 % des usagers ne payaient déjà rien et 24 % bénéficiaient d’un tarif réduit.

Mobilité et pouvoir d’achat


Parmi les usagers des transports en commun que nous avons rencontrés, beaucoup nous ont déclaré qu’ils les prenaient déjà avant la gratuité. Et qu’ils multipliaient désormais les voyages, sans avoir à calculer combien cela leur coûterait.

Tous apprécient beaucoup de ne plus avoir à payer. Ce coup de pouce en termes de pouvoir d’achat est l’un des aspects de la mesure que le maire de Talinn, Taavi Aas, met d'ailleurs souvent en avant : « Dans notre pays où le salaire net moyen est de 900 euros, la gratuité génère une économie substantielle : 80 euros par mois pour un couple avec deux enfants ».

En termes d’incivilités, les résultats seraient aussi extrêmement probants. Taavi Aas explique : « Dans des bus vides, il était plus facile de casser. Dans des bus bien remplis, c’est nettement plus difficile… ».

Le maire évoque enfin l’aspect environnemental de la mesure : «  Conduire dans Talinn est devenu plus facile, il y a moins de bouchons dans le centre-ville ». Précisons que le tarif du stationnement y est plus que dissuasif : 6 euros de l’heure !

Les cadres boudent les bus


Les cadres continuent cependant à venir majoritairement en voiture au travail. « Leurs entreprises mettent à leur disposition des parkings privés. Et puis les cadres veulent conduire leurs enfants dans les écoles les plus réputées, toutes dans le centre-ville », précise Allan Allaküla.

 « Il y a plus d’actifs qu’avant dans les bus, mais peu de costumes-cravates », reconnait Tiit Laiksoo, spécialiste des transports à la ville. « Les mentalités évoluent lentement, les cadres continuent à penser que les transports publics ne sont pas pour eux. » Le fonctionnaire fait part de son étonnement et avoue ne pas comprendre pourquoi autant de gens préfèrent tourner de longues minutes à la recherche d’une place gratuite – il y en a peu et elles sont toutes situées en dehors de l’hyper centre – plutôt que d’essayer les transports en commun.

Il n’y a que dans les trains de banlieue qu’une mixité sociale s’est rapidement imposée : les habitants des lotissements éloignés du centre-ville, issus de la classe moyenne, ont vite compris leur intérêt et le gain de temps pour aller au travail…

Dur dur de lutter contre un symbole de liberté

Le contexte particulier de l’Estonie explique sans doute ce bilan en demi-teinte : l’automobile s’est développée et démocratisée très récemment, avec l'obtention de l'indépendance du pays en 1991. Ce symbole de la liberté recouvrée des Estoniens est profondément ancré dans les mentalités, tout comme l’image archaïque des transports publics.

Un chiffre permet cependant de nuancer les choses : le taux d’équipement automobile a arrêté de croître à Talinn depuis la mise en place de la gratuité. Dans le reste du pays, il continue à augmenter de 10 % par an.

 

Green card et contrôles


Toutes les personnes domiciliées à Talinn peuvent obtenir une "green card" leur permettant d’emprunter gratuitement les bus, tramways et trains de banlieue de la ville. Cette carte est délivrée pour 4 ans et coûte deux euros (ce prix a été fixé pour éviter de fabriquer trop souvent des cartes imprudemment perdues).

Tous les détenteurs de cette "green card" sont aussi tenus de prouver leur lieu de résidence en cas de contrôle. Dans les faits, les chances de contrôles sont minces : une grande partie des contrôleurs a été remerciée par la compagnie de transport TLT. Il ne reste qu’une seule équipe à sillonner la ville.

 

L'autrice

Journaliste spécialisée dans les questions urbaines et les enjeux d'aménagement des villes de demain, Vanessa Delevoye est la rédactrice-en-chef d'Urbis le Mag.